
Aux beaux jours, une banque centrale est un monde d’alphas et de bêtas, peuplé de doux dingues plongés dans des équations obscurées de lettres grecques, confrontant les statistiques économiques à leurs modèles ésotériques sur la marche de l’inflation, la résilience aux chocs macroéconomiques. C’est ainsi qu’ils gagnent leur vie calle de Alcalá, au siège madrilène de la Banque d’Espagne. À Kinshasa, en revanche, les équipes de Malangu Kabedi Mbuyi, gouverneure de la Banque centrale du Congo (BCC) depuis juillet 2021, évoluent dans un environnement interlope plus proche de la Casa de Papel, le blockbuster de Netflix.
La mission de la nouvelle gouverneure et de ses collègues aurait été de toute façon délicate dans un pays confronté à des insuffisances manifestes de gouvernance dans le secteur bancaire et à l’irréductible dollarisation de l’économie (85% des dépôts sont en dollars US). La tâche avait été rendue encore plus difficile par l’immobilisme du précédent conseil d’administration de la BCC, qui comptait parmi ses membres une figure aussi controversée qu’Albert Yuma Mulumbi, longtemps indéboulonnable patron des patrons congolais. Au passage, plusieurs membres de ce conseil étaient en poste avant que soit née la moitié de la population actuelle du pays…
Mais la fonctionnaire internationale née en 1958 s’imaginait peut-être un atterrissage plus en douceur. La cohorte de nouveaux administrateurs nommée le 5 juillet 2021 a particulièrement agacé le Fonds monétaire international (FMI) – où elle a passé l’essentiel de sa carrière –, qui obtient une semaine plus tard le remplacement de trois d’entre eux : le financier Jean Ilema N’Sele, les conseillers présidentiels Prince Leta Katumba et André Wameso, jugés trop proches de l’exécutif.
Pour ne rien arranger, depuis un an, la place de Kinshasa est derechef secouée par les accusations de malversations, la détérioration prolongée de la situation financière de BGFIBank RDC, les soupçons de détournements des allocations du FMI logées dans les comptes même de la BCC et une bataille générale entre les actionnaires d’Afriland First Bank CD. Cette dernière a conduit la gouverneure, à la fin de juin, à expulser l’ensemble des administrateurs de la banque, placée désormais sous administration provisoire.
Si d’aucuns, à Kinshasa, tels Willy Mulamba, patron de l’association des banques congolaises, saluent le report à janvier 2025 du seuil de 50 millions de dollars de fonds propres bancaires, décidé par la patronne de la BCC en raison de la crise du Covid-19, et la mise en place d’un cadre de concertation permanent avec la corporation bancaire, les motifs d’inquiétude dans les milieux financiers sont nombreux. Pêle-mêle : les difficultés à placer les liquidités des banques dans un pays aussi peu bancarisé (25,8% des adultes ont un compte contre 42,6 % en moyenne au sud du Sahara), l’incertitude juridique autour des comptes des opérateurs de mobile money, ou encore les difficultés dans un pays où le cash est roi à faire appliquer la limite de retraits en espèces…
Sur tous ces sujets, la place financière de Kinshasa attend les arbitrages de la gouverneure qui ne manqueront pas de faire des mécontents et pour lesquels l’appui du gouvernement sera indispensable. Malangu Kabedi Mbuyi dispose encore de quatre ans pour conduire « la BCC à un meilleur niveau de gouvernance managériale et économique ». Avec qui compte-t-elle mener cette mission ? Quelles sont ses rapports avec les interlocuteurs qui comptent dans les corridors du pouvoir à Kinshasa comme à l’étranger ? Jeune Afrique fait le point.
Rompue aux délicates négociations avec les dirigeants africains, Malangu Kabedi Mbuyi a pris le soin de rendre visite au Premier ministre, Jean-Michel Sama Lukonde, le 19 juillet 2021, dès le lendemain de son arrivée à Kinshasa, avant d’être reçue en audience deux jours plus tard par celui qu’elle nomme le « premier Congolais » et d’affirmer au président Félix Tshisekedi sa volonté de « soutenir l’action du chef de l’État ». Au quotidien, ses deux interlocuteurs les plus fréquents au gouvernement sont le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, et celui du Budget, Aimé Boji Sangara.
La gouverneure a en commun avec le premier un début de carrière à la BCC et surtout un profil de fonctionnaire international. Économiste de formation, Nicolas Kazadi est également diplômé de l’ENA, où il a croisé plusieurs futures figures de la « Macronie » – dont Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, et Alexis Kohler, le tout-puissant secrétaire général de la présidence française. Le grand argentier de la RDC a passé plus de quinze ans au Pnud avant d’être rappelé à Kinshasa, en 2019, par Félix Tshisekedi, qui le nomme ambassadeur itinérant, puis ministre des Finances à la fin d’avril 2021.
Moins introduit dans les milieux internationaux, bien que formé au Royaume-Uni, Aimé Boji Sangara présente un profil plus politique, utile pour trancher les rugueux arbitrages budgétaires au sein de la coalition gouvernementale. Cet ex-ministre du Commerce extérieur est le frère de Mamick Boji, l’ex-épouse de Vital Kamerhe, candidat à la présidentielle de 2018 et ancien directeur de cabinet du président Tshisekedi, avant son arrestation et son procès pour détournements de fonds, gagné en appel en juin 2022. Aimé Boji Sangara a été secrétaire général par intérim de l’Union pour la nation congolaise (UNC), le parti fondé et présidé par Vital Kamerhe.
Enfin, bien qu’ils ne soient pas collègues en raison du revirement présidentiel de la mi-juillet 2021, la gouverneure doit composer avec André Wameso, incontournable sur les questions économiques à la présidence. Cet ancien cadre de la banque belge Dexia est un proche de Tshisekedi, dont il fut l’ambassadeur itinérant (2019-2021) avant d’être promu directeur de cabinet adjoint du chef de l’État, chargé des questions économiques et financières.
Après trente ans au Fonds, Malangu Kabedi Mbuyi est désormais de l’autre côté de la table face aux dirigeants des institutions de Bretton Woods. Elle bénéficie d’un a priori positif auprès de ses interlocuteurs. La Banque mondiale a salué sa nomination, « basée sur le mérite plutôt que sur les relations ». Représentée depuis 2018 à Kinshasa par le Français Jean-Christophe Carret – qui cède son poste en ce mois de juillet au Camerounais Albert Zeufack – l’institution presse toutefois la BCC d’abandonner, entre autres, « les pratiques consistant à garantir les prêts gouvernementaux des banques commerciales par des dépôts en devises étrangères ».
Le FMI a autorisé le transfert d’environ 725 millions de dollars de la BCC au ministère des Finances
Le premier interlocuteur international de la gouverneure demeure le FMI, dont les injections de capitaux ont quadruplé les réserves de change du pays et stabilisé le franc congolais depuis la mi-2021 (il avait cédé 20 % face au dollar US durant les 18 mois précédents). Le FMI a autorisé le transfert d’environ 725 millions de dollars de droits de tirage spéciaux de la BCC au ministère des Finances pour des « projets d’investissement prioritaires ». Mais leur utilisation devra se faire de façon « efficiente et transparente », avec des « gardes fous », sous la supervision notamment du Pnud.
Les missions d’évaluation du Fonds en RDC sont pilotées par Mercedes Vera-Martin, diplômée en économie de l’Universitat Pompeu Fabra de Barcelone et de la LSE à Londres. Elle a pris le relais de l’équatorien Mauricio Villafuerte, qui avait mené les négociations qui ont abouti à l’approbation dix jours après la nomination de Malangu Kabedi Mbuyi d’un financement pluriannuel de 1,5 milliard de dollars en faveur de la RDC. Mercedes Vera-Martin s’appuie sur le représentant-résident à Kinshasa, Gabriel Léost, diplômé de l’Ensae, ancien de la direction générale du Trésor et de l’ambassade de France au Mexique.
Enfin, Malangu Kabedi Mbuyi, qui entend « participer activement au processus d’intégration financière au niveau sous-régional », préside depuis août 2021 l’Association des banques centrales africaines, secondée par le Gambien Buah Saidy, et où elle côtoie le Tchadien Abbas Mahamat Tolli, membre du Comité sous-régional pour l’Afrique centrale et gouverneur de la BEAC.
En interne, l’un des grands chantiers que doit mener la patronne de la BCC est la réforme intégrale de l’institution monétaire entamée – sous la pression du FMI – par son prédécesseur Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, exfiltré en juillet dernier vers la présidence du conseil d’administration de l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances (ARCA) ; où siège d’ailleurs statutairement la gouverneure de la BCC…
Aucune des réformes de la direction des opérations bancaires n’a été finalisée
Le dernier rapport annuel de l’institution monétaire estime qu’au 31 décembre 2020 « le plan stratégique 2016-2020 est exécuté à 57 % ». Un calcul général et généreux qui omet qu’à cette date, dans le détail, seul un des huit projets de réforme de l’administration générale de la banque a été achevé, quand deux d’entre eux n’avaient même pas été lancés. Aucune des sept réformes prévues au sein de l’incontournable direction des opérations bancaires et des marchés n’avait été finalisée.
Pour accélérer ces chantiers, la gouverneure pourra s’appuyer sur les huit administrateurs sélectionnés le 12 juillet, qui présentent un intéressant mix de compétences. Les deux vice-gouverneurs doivent se répartir la supervision de quatorze départements. Au premier, Dieudonné Fikiri Alimasi, profil à la fois plus senior et plus politique, reviennent ceux jugés stratégiques des opérations bancaires et des marchés et de la trésorerie. Ancien député, il a démissionné, à sa nomination, du mandat de sénateur qu’il détenait depuis 2019 et de la présidence de son parti, le Front des nationalistes pour la solidarité et le développement (FNSD). Ce haut fonctionnaire, plusieurs fois chef de cabinet ministériel, a été directeur de l’Hôtel des Monnaies et du département de la Trésorerie de la BCC.
Économiste de formation, William Pambu, lui aussi ancien employé de la banque, a connu un parcours plus obscur et accidenté, dont un intérim contesté à la Régie des voies aériennes (RVA), entre 2020 et 2021, avant d’être nommé il y a un an deuxième vice-gouverneur. Statutairement, il lui revient la supervision des directions des ressources humaines et de la surveillance des intermédiaires financiers.
Malangu Kabedi Mbuyi pourra aussi compter sur la mémoire institutionnelle et l’expertise de Louis N’sa Elongo Isemoli, autre vétéran de la BCC et ancien directeur de cabinet du gouverneur, promu à l’honorariat lors de sa nomination comme administrateur en juillet 2021. Autre technocrate nommé administrateur, Thomas Batetele Boleki Linka, directeur de la formation à la BCC avant de devenir consultant en ressources humaines, entre autres, pour la Banque africaine de développement (BAD). Deux acteurs connus du secteur privé congolais ont également été promus administrateurs, apportant une expertise pratique utile à l’évaluation de la situation économique du pays : Alain Kahasha, vétéran des télécoms, directeur général d’Airtel RDC, et l’expert-comptable Eliane Munkeni Kiekie, par ailleurs vice-présidente de la Fédération des entreprises du Congo (FEC).
Deux spécialistes du secteur financier ont été aussi promus au conseil : Georges Tshilengi Mbuyi Shambuyi, ancien haut cadre et ex-administrateur de Banque commerciale du Congo (BCDC de la famille belge Forrest, racheté en 2019 par le kényan Equity Bank), et le haut fonctionnaire Jean Elongo Ongona, qui a passé plus de vingt-cinq ans à la BCC, dont huit années comme auditeur général. Il connaît les arcanes du budget, par ailleurs, après quatre ans à la tête de la Direction générale des recettes administratives.
Vaste remaniement
Sur le plan du management interne, la gouverneure s’est montrée prudente pendant plusieurs mois. Ainsi, elle a conservé – pour l’instant – Jean-Louis Kayembe Wa Kayembe au poste stratégique de directeur général de la politique monétaire et bancaire, qu’il occupe depuis plus d’une dizaine d’années. Ce dernier s’était d’ailleurs pressé de l’accueillir à son arrivée à l’aéroport, selon les médias kinois. Mais, depuis quelques semaines, des têtes commencent à tomber.
La gouverneure a procédé en avril à un vaste remaniement au sein de l’ensemble des postes de direction, au siège comme dans les provinces. Les banquiers de Kinshasa ont noté par exemple les remaniements à la tête des directions des opérations bancaires et des marchés, de la surveillance des intermédiaires financiers ainsi que de la trésorerie. Signe peut-être des changements à venir, la quasi-totalité des responsables de l’audit ont été remplacés…
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