Ce 18 juillet, les experts du Mécanisme des Nations unies pour la promotion de la justice et l’égalité raciale ont déclaré préparer des recommandations aux gouvernements espagnol et marocain afin d’empêcher la répétition d’incidents comme le drame de Melilla, survenu le 24 juin dernier.
« Nous voulons donner des recommandations concrètes aux deux gouvernements pour mettre fin à ce cycle d’affrontements meurtriers entre Africains et forces de sécurité », a souligné dans un communiqué la juge sud-africaine Yvonne Mokgoro, présidente du mécanisme, qui a par ailleurs incité à une meilleure collaboration du Maroc et de l’Espagne avec l’Union européenne (UE) et l’Union africaine.
Au total, parmi les 2 000 migrants ayant tenté de franchir la clôture séparant Nador de Melilla, 23 ont trouvé la mort. Le rapport publié le 13 juillet par une mission d’information marocaine a conclu à la mort « par asphyxie » des migrants africains qui ont péri dans des « bousculades ».
Pour Jeune Afrique, le chercheur Ali Zoubeidi, spécialiste en migrations et consultant auprès d’organisations internationales, revient sur les stratégies mises en place par le Maroc pour faire face à la crise migratoire ainsi que sur les alternatives au statu quo sur la question.
Quelles sont pour vous les causes du drame de Melilla ?
Ali Zoubeidi : Ce qu’il s’est passé à Melilla le 24 juin illustre l’échec des politiques migratoires actuelles. C’est la répétition de ce qu’il s’est passé à Ceuta en 2005. La situation socio-économique, l’état d’urgence sanitaire, les restrictions de mobilité et les retards accusés dans le renouvellement des titres de séjour ouvrent la voie à plus de départs vers l’Europe à partir du Maroc.
Certes, les conditions économiques difficiles sont un facteur de départ pour la majorité des migrants subsahariens et des jeunes Marocains. Mais avec le gel du secteur informel et la perte de 589 000 emplois depuis mars 2020, la situation passe de difficile à alarmante pour la plus grande frange des migrants subsahariens et des jeunes Marocains. Une enquête du Haut-commissariat au plan au cours du premier trimestre de l’année 2021 révèle en effet que seuls 48 % des migrants présents au Maroc exercent une activité professionnelle, et plus de 27 % sont au chômage.
Il y a également une évolution dans la démographie et l’origine des candidats au départ vers l’Europe, avec de plus en plus de migrants du Soudan, du Sud-Soudan, du Tchad et du Yémen. Ces groupes sont plus organisés. Enfin, on constate de plus en plus de confrontations avec les forces de l’ordre marocaines. Mais l’éloignement des migrants vers d’autres villes du royaume (comme Rabat, Chichaoua, Oujda, Béni Mellal ou Tan-Tan) se révèle n’être qu’une solution temporaire.
Les dernières enquêtes évoquent de « véritables mafias » de trafic d’êtres humains. Cette thèse est-elle crédible ?
Il y a sans aucun doute une implication des réseaux de trafic humain qui opèrent sur la route terrestre. J’en veux pour preuve l’apparition continue de nouvelles routes des migrations illégales, qui traversent le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, profitant de la faiblesse du contrôle frontalier.
La dimension transnationale des flux migratoires illégaux nécessite une coopération régionale et internationale. Mais le climat de suspicion entre le Maroc et l’Algérie rend le combat contre les réseaux criminels transnationaux plus ardu.
Les relations en dents de scie avec la Mauritanie poussent le Maroc à opérer unilatéralement dans certaines régions pour assurer la sécurité de ses frontières, les réseaux du trafic illicite opérant autant au nord du pays qu’au sud, dans la région de Laâyoune, Guerguerate et Lagouira.
Le 12 juillet, le ministre de l’Intérieur espagnol, Fernando Grande-Marlaska, a demandé à l’Union européenne d’augmenter les fonds alloués aux programmes de collaboration migratoire dans les pays africains impliqués dans le transit des migrations : l’argent est-il le fond du problème ?
Un partenariat solide entre le Maroc et l’UE en matière de lutte contre le trafic illicite des migrants reposerait sur la prévention des causes profondes qui poussent le migrant à choisir la voie illégale.
Naturellement, la surveillance des frontières nécessite des moyens humains, financiers et techniques tels qu’il serait irréaliste de la mener sans appui de l’UE. Il devra y avoir un travail profond pour freiner l’évolution de cette forme de criminalité transnationale. L’Europe doit par ailleurs ouvrir les voies légales pour les migrants économiques, sans pour autant faciliter la fuite des cerveaux africains.
La préoccupation sécuritaire est nécessaire pour lutter contre les réseaux de trafic de migrants, mais il faut s’attaquer à l’essence de cette activité criminelle. Les migrants ne peuvent pas recourir aux trafiquants si les voies légales sont assouplies et les causes profondes résolues avec rigueur et bonne gouvernance. L’UE et le Maroc devront collaborer plus étroitement, pour évaluer les stratégies mises en place pour lutter contre les réseaux de trafic des migrants.
Ali Zoubeidi © DR
Quelles sont les réformes juridiques à envisager sur la politique migratoire marocaine ?
Une réforme législative est nécessaire pour assurer une meilleure gestion migratoire. De nouvelles dispositions sur la décriminalisation des migrants doivent être incluses dans la loi. Les migrants irréguliers devraient dorénavant être considérés comme des victimes des réseaux criminels de trafic illicite et de la traite humaine.
Il sera aussi primordial d’adopter une loi contre le trafic de migrants, afin de rendre ce commerce hautement risqué. Les juges marocains doivent infliger des peines sévères aux trafiquants qui violent la souveraineté des États et mettent la vie des migrants en danger. La société civile participe à l’élaboration des lois et elle collabore aux différentes commissions et institutions.
Certains en Europe évoquent une stratégie du « chantage migratoire » de la part du Maroc…
Le Maroc impose aujourd’hui sa vision de responsabilité partagée et prône une migration sûre, ordonnée et régulière. Or, la protection des frontières avec l’Europe est un fardeau lourd à assumer pour un pays qui souffre de problèmes structurels. Il devient urgent d’imposer une meilleure coordination régionale pour freiner l’ampleur de ce phénomène.
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