Cameroun – Jean-Michel Nintcheu : « Le régime de Paul Biya est le fossoyeur de la démocratie »

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En annonçant, le 16 juin et de manière unilatérale, une série de nominations au sein d’un parti qu’il dit pourtant vouloir transmettre, John Fru Ndi a fait du Fru Ndi. Ravi sans doute de prendre tout le monde de court. En retour, Jean-Michel Nintcheu a fait du Nintcheu, critiquant publiquement la décision du chairman et réunissant autour de lui, dès le 23 juin, une trentaine des membres les plus emblématiques du Social Democratic Front (SDF) pour contester formellement ces choix qui minent son influence au sein du parti.

C’est dans la capitale, Yaoundé, que nous avons rencontré le truculent député de Douala, en marge de la session parlementaire qui s’est achevée le 6 juillet. À Jeune Afrique, il dit sa conviction que son éternel rival, Joshua Osih, est derrière les déboires des cadres qui lui sont proches, même s’il réfute l’idée d’une bataille de leadership. Il plaide aussi pour un engagement politique plus radical face au régime de Paul Biya.

Jeune Afrique : Pourquoi contestez-vous les récentes nominations effectuées au sein du SDF par le chairman John Fru Ndi ?

Jean-Michel Nintcheu : Parce qu’elles sont inopportunes. L’usage veut que le shadow cabinet soit nommé directement après le congrès et à la suite de larges consultations. Cela n’a pas été fait après le congrès de 2018, ce qui nous a laissés penser qu’il y avait eu une reconduction tacite des mandats en cours. Les mandats des personnes concernées devaient s’achever début 2023. Quel intérêt y avait-il à les remplacer maintenant ? C’est comme si le but inavoué, avec ces nominations, était de modifier de façon artificielle les rapports de forces au sein du Comité exécutif national [NEC].

Et puis nous estimons qu’il y a eu violation des dispositions statutaires dans le sens où les larges consultations que prescrivent nos textes en amont de tout remaniement de ce type n’ont pas été effectuées. Des membres de la section du Littoral ont même été nommés alors que moi qui suis président régional, je n’ai jamais été consulté pour attester de leur qualité de membre ou simplement pour faire des propositions. Conséquence : les trois quarts des personnes nommées ne remplissent pas les conditions requises. Agbor Balla est devenu militant du SDF le jour où il a été nommé !

Vos récriminations ne sont-elles pas surtout liées au fait que certains de vos proches, à l’instar de Jean-Robert Wafo, ont été débarqués ?

Le camarade Wafo est un homme de qualité, exceptionnel en matière de communication politique. Il a su rehausser l’image du parti dans les pires moments, notamment après notre piètre score à la dernière présidentielle, où notre candidat [Joshua Osih] a obtenu 3,5 % des suffrages. J’ai eu la chance de l’avoir comme collaborateur quand il était secrétaire régional à la communication pour le compte du SDF dans la région du Littoral. Je ne comprends pas que la haute hiérarchie du parti n’ait pas exploité le quart de son potentiel.

Joshua Osih, le vice-président du SDF, a affirmé avoir été consulté en amont de ces nominations…

Je pense même que c’est lui qui est derrière ces nominations ! Je suis convaincu que le chairman Fru Ndi ne connait pas 99 % des gens qui ont été nommés. Osih a décidé de mettre le parti en difficulté parce qu’il ne pense qu’à son propre intérêt et parce que le rapport de force au sein du NEC ne jouait pas en sa faveur. Cela n’était pas de bon augure pour lui dans la perspective du congrès prévu en 2023. Je pense qu’il est parvenu à entraîner le chairman sur un chemin périlleux pour le parti.

Tout cela ne découle-t-il pas de la guerre de leadership qui vous oppose à Osih ?

Non, il n’y a pas de guerre de leadership. Je n’ai pas non plus de problème personnel avec Joshua Osih. Je fais partie de ces militants et de ces cadres historiques du SDF qui sont contre les dérives de la direction du parti, contre son soutien affiché au régime de Paul Biya qui est le fossoyeur de la démocratie. Nous ne voulons pas de ces relations incestueuses. Nous, nous sommes pour le retour aux fondamentaux. Le parti doit même être encore plus radical qu’il ne l’était dans les années 1990 car les choses sont allées de mal en pis.

Les espaces de liberté pour lesquels nous nous sommes battus en 1990 ont tous été mis entre parenthèses

Paul Biya avait 60 ans en 1990. Il en a désormais 89 et il ne veut toujours pas partir. Les espaces de liberté pour lesquels nous nous sommes battus en 1990 ont tous été mis entre parenthèses. Nous devons mutualiser nos efforts et, surtout, ne jamais collaborer avec le régime en place. Ce n’est pas en étant dans ses bonnes grâces que nous changerons quoi que ce soit.

Serez-vous candidat à la présidence du SDF au prochain congrès ?

J’aviserai le moment venu. Pour le moment, la préoccupation majeure est la refondation du parti, pour un retour à un SDF combatif et davantage concentré sur les sujets qui préoccupent les Camerounais. Ensuite, ce sont mes camarades qui décideront s’ils sont prêts à me faire confiance pour porter leur flambeau. Je suis disponible.

Resterez-vous au sein du parti si vos adversaires en prennent la tête ? 

C’est impossible puisque le SDF est aujourd’hui incarné à 99 % par le courant que nous portons.

Pourquoi avez-vous refusé de prendre part à la réunion de réconciliation organisée par John Fru Ndi en 2021 ?

Lorsque les militants du Littoral ont exclu Osih, conformément à l’article 8.2 du parti, le chairman m’a appelé pour que je me réconcilie avec lui. J’ai lui ai répondu que moi, je n’avais pas de problème avec Osih. Ce sont les militants qui ont considéré sa connivence avec le pouvoir comme une trahison, notamment à cause de sa participation à cette pétition envoyée à Washington et au bas de laquelle des députes RDPC [Rassemblement démocratique du peuple camerounais, au pouvoir] ont apposé leur signature. Je ne pouvais donc pas me rendre à cette réunion et prétendre me substituer à l’ensemble des militants du Littoral.

Cette exclusion n’était-elle pas surtout une manière de le fragiliser ?

Une fois de plus, il ne faut pas confondre ma personne et le comité exécutif régional du SDF dans le Littoral.

Quels sont vos liens avec le MRC ? 

Excellents, notamment avec son président Maurice Kamto. Le MRC considère qu’un opposant doit s’opposer et je me sens complètement en phase avec cette posture. Et puis je préfère que l’on me dise proche du MRC plutôt que du RDPC. Je l’assume. J’irai même plus loin en disant qu’à terme, on doit mutualiser nos efforts pour les élections. C’est indispensable si l’on veut renverser l’adversaire.



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